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Fratelli tutti/Eglise Catholique
Le bonheur de reconnaître lautreCela implique leffort de reconnaître à lautre le droit dêtre lui-même et dêtre différent. À partir de cette reconnaissance faite culture, lélaboration dun pacte social devient possible. Sans cette reconnaissance apparaissent des manières subtiles duvrer pour que lautre perde toute signification, quil devienne négligeable, quon ne lui reconnaisse aucune valeur dans la société. Derrière le rejet de certaines formes visibles de violence, se cache souvent une autre violence plus sournoise : celle de ceux qui méprisent toute personne différente, surtout quand ses revendications portent préjudice dune manière ou dune autre à leurs intérêts.
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Quand un secteur de la société prétend profiter de tout ce quoffre le monde, comme si les pauvres nexistaient pas, cela entraîne des conséquences à un moment ou à un autre. Ignorer lexistence et les droits des autres provoque, tôt ou tard, une certaine forme de violence, très souvent inattendue. Les rêves de liberté, dégalité et de fraternité peuvent rester de pures formalités sils ne sont pas effectivement pour tous. Il ne sagit donc pas seulement de rechercher la rencontre entre ceux qui détiennent diverses formes de pouvoir économique, politique ou universitaire. Une rencontre sociale réelle met véritablement en dialogue les grandes formes culturelles qui représentent la majeure partie de la population. Bien souvent, les bonnes intentions ne sont pas souscrites par les secteurs les plus pauvres, parce quelles se présentent sous un habillement culturel qui nest pas le leur et avec lequel ils ne peuvent pas sidentifier. Par conséquent, un pacte social réaliste et inclusif doit être aussi un pacte culturel qui respecte et prenne en compte les diverses visions de lunivers, les diverses cultures et les divers modes de vie coexistant dans la société.
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Par exemple, les peuples autochtones ne sont pas opposés au progrès, même sils ont une conception différente du progrès, souvent plus humaniste que celle de la culture moderne du monde développé. Ce nest pas une culture orientée vers le bénéfice de ceux qui ont le pouvoir, de ceux qui ont besoin de créer une sorte de paradis éternel sur terre. Lintolérance et le mépris envers les cultures populaires indigènes est une véritable forme de violence propre aux élites dénuées de bonté qui vivent en jugeant les autres. Mais aucun changement authentique, profond et durable, nest possible sil ne se réalise à partir des diverses cultures, principalement celle des pauvres. Un pacte culturel suppose quon renonce à comprendre lidentité dun endroit de manière monolithique et exige quon respecte la diversité en ouvrant à celle-ci des voies de promotion et dintégration sociales.
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Ce pacte implique aussi quon accepte la possibilité de céder quelque chose pour le bien commun. Personne ne pourra détenir toute la vérité ni satisfaire la totalité de ses désirs, parce que cette prétention conduirait à vouloir détruire lautre en niant ses droits. La recherche dune fausse tolérance doit céder le pas au réalisme dialoguant de la part de ceux qui croient devoir être fidèles à leurs principes mais qui reconnaissent que lautre aussi a le droit dessayer dêtre fidèle aux siens. Voilà la vraie reconnaissance de lautre que seul lamour rend possible et qui signifie se mettre à la place de lautre pour découvrir ce quil y a dauthentique, ou au moins de compréhensible, dans ses motivations et intérêts !
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Retrouver la bienveillanceLindividualisme consumériste provoque beaucoup de violations. Les autres sont considérés comme de vrais obstacles à une douce tranquillité égoïste. On finit alors par les traiter comme des entraves et lagressivité grandit. Cela saccentue et atteint le paroxysme lors des crises, des catastrophes, dans les moments difficiles où lesprit du sauve qui peut apparaît en pleine lumière. Il est cependant possible de choisir de cultiver la bienveillance. Certaines personnes le font et deviennent des étoiles dans lobscurité.
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Saint Paul désignait un fruit de lEsprit Saint par le terme grec jrestótes (Ga 5, 22) exprimant un état dâme qui nest pas âpre, rude, dur, mais bienveillant, suave, qui soutient et réconforte. La personne dotée de cette qualité aide les autres pour que leurs vies soient plus supportables, surtout quand elles ploient sous le poids des problèmes, des urgences et des angoisses. Cest une manière de traiter les autres qui se manifeste sous diverses formes telles que : la bienveillance dans le comportement, lattention pour ne pas blesser par des paroles ou des gestes, leffort dalléger le poids aux autres. Cela implique quon dise « des mots dencouragements qui réconfortent, qui fortifient, qui consolent qui stimulent », au lieu de « paroles qui humilient, qui attristent, qui irritent, qui dénigrent ».[208]
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La bienveillance est une libération de la cruauté qui caractérise parfois les relations humaines, de lanxiété qui nous empêche de penser aux autres, de lempressement distrait qui ignore que les autres aussi ont le droit dêtre heureux. Aujourdhui, on na ni lhabitude ni assez de temps et dénergies pour sarrêter afin de bien traiter les autres, de dire sil te plait, pardon, merci. Mais de temps en temps le miracle dune personne aimable apparaît, qui laisse de côté ses anxiétés et ses urgences pour prêter attention, pour offrir un sourire, pour dire une parole qui stimule, pour rendre possible un espace découte au milieu de tant dindifférence. Cet effort, vécu chaque jour, est capable de créer une cohabitation saine qui lemporte sur les incompréhensions et qui prévient les conflits. Cultiver la bienveillance nest pas un détail mineur ni une attitude superficielle ou bourgeoise. Puisquelle suppose valorisation et respect, elle transfigure profondément le mode de vie, les relations sociales et la façon de débattre et de confronter les idées, lorsquelle devient culture dans une société. Elle facilite la recherche du consensus et ouvre des chemins là où lexaspération détruit tout pont.
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SEPTIÈME CHAPITREDES PARCOURS POUR SE RETROUVEREn bien des endroits dans le monde, des parcours de paix qui conduisent à la cicatrisation des blessures sont nécessaires. Il faut des artisans de paix disposés à élaborer, avec intelligence et audace, des processus pour guérir et pour se retrouver.
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Repartir de la véritéSe retrouver ne signifie pas retourner à un moment antérieur aux conflits. Nous avons tous changé avec le temps. La souffrance et les affrontements nous ont transformés. Par ailleurs, il ny a plus de place pour les diplomaties vides, pour les faux-semblants, pour le double langage, pour les dissimulations, les bonnes manières qui cachent la réalité. Ceux qui se sont durement affrontés doivent dialoguer à partir de la vérité, claire et nue. Ils ont besoin dapprendre à cultiver la mémoire pénitentielle, capable dassumer le passé pour libérer lavenir de ses insatisfactions, confusions et projections. Ce nest quà partir de la vérité historique des faits quils pourront faire leffort, persévérant et prolongé, de se comprendre mutuellement et de tenter une nouvelle synthèse pour le bien de tous. La réalité, cest que « le processus de paix est un engagement qui dure dans le temps. Cest un travail patient de recherche de la vérité et de la justice qui honore la mémoire des victimes et qui ouvre, pas à pas, à une espérance commune plus forte que la vengeance ».[209] Comme lont dit les évêques du Congo au sujet dun conflit qui se répète, « des accords de paix sur le papier ne suffiront pas. Il faudra aller plus loin, en intégrant lexigence de vérité sur les origines de cette crise récurrente. Le peuple a le droit de savoir ce qui sest passé ».[210]
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En effet, « la vérité est une compagne indissociable de la justice et de la miséricorde. Toutes les trois sont essentielles pour construire la paix et, dautre part, chacune delle empêche que les autres soient altérées. [...] La vérité ne doit pas, de fait, conduire à la vengeance, mais bien plutôt à la réconciliation et au pardon. La vérité, cest dire aux familles déchirées par la douleur ce qui est arrivé à leurs parents disparus. La vérité, cest avouer ce qui sest passé avec les plus jeunes enrôlés par les acteurs violents. La vérité, cest reconnaître la souffrance des femmes victimes de violence et dabus. [
] Chaque violence commise contre un être humain est une blessure dans la chair de lhumanité ; chaque mort violente nous diminue en tant que personnes. [
] La violence engendre la violence, la haine engendre plus de haine et la mort plus de mort. Nous devons briser cette chaîne qui paraît inéluctable ».[211]
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Architecture et artisanat de la paixLe cheminement vers la paix nimplique pas lhomogénéisation de la société ; il nous permet par contre de travailler ensemble. Il peut unir un grand nombre de personnes en vue de recherches communes où tous sont gagnants. Face à un objectif commun déterminé, il est possible dapporter diverses propositions techniques, différentes expériences et de travailler au bien commun. Il faut essayer de bien identifier les problèmes que traverse une société pour accepter quil existe diverses façons de voir les difficultés et de les résoudre. Le chemin vers une meilleure cohabitation implique toujours que soit reconnue la possibilité que lautre fasse découvrir une perspective légitime, au moins en partie, quelque chose qui peut être pris en compte, même quand il sest trompé ou a mal agi. En effet, « lautre ne doit jamais être enfermé dans ce quil a pu dire ou faire, mais il doit être considéré selon la promesse quil porte en lui »,[212] promesse qui laisse toujours une lueur despérance.
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Comme lont enseigné les évêques sud-africains, la vraie réconciliation sobtient de manière proactive, « en créant une nouvelle société fondée sur le service des autres plus que sur le désir de domination, une société fondée sur le partage avec les autres de ce que lon possède plus que sur la lutte égoïste de chacun pour accumuler le plus de richesse possible ; une société dans laquelle la valeur dêtre ensemble en tant quêtres humains prime incontestablement sur lappartenance à tout autre groupe plus restreint, que ce soit la famille, la nation, la race ou la culture ».[213] Les évêques de la Corée du Sud ont signalé quune véritable paix « ne peut être obtenue que si nous luttons pour la justice à travers le dialogue, en recherchant la réconciliation et la croissance mutuelle ».[214]
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Le difficile effort de dépasser ce qui nous divise sans perdre lidentité personnelle suppose quun sentiment fondamental dappartenance demeure vivant en chacun. En effet, « notre société gagne quand chaque personne, chaque groupe social, se sent vraiment à la maison. Dans une famille, les parents, les grands-parents, les enfants sont de la maison ; personne n'est exclu. Si lun deux a une difficulté, même grave, bien quil l'ait cherchée, les autres vont à son secours, le soutiennent ; sa douleur est partagée par tous. [
] Dans les familles, tous contribuent au projet commun, tous travaillent pour le bien commun, mais sans annihiler chaque membre ; au contraire, ils le soutiennent, ils le promeuvent. Ils se querellent, mais il y a quelque chose qui ne change pas : ce lien familial. Les querelles de famille donnent lieu par la suite à des réconciliations. Les joies et les peines de chacun sont assumées par tous. Ça oui cest être famille ! Si nous pouvions réussir à voir l'adversaire politique ou le voisin de maison du même il que nos enfants, nos épouses, époux, nos pères ou nos mères, que ce serait bien ! Aimons-nous notre société ou bien continue-t-elle dêtre quelque chose de lointain, quelque chose danonyme, qui ne nous implique pas, que nous ne portons en nous, qui ne nous engage pas ? ».[215]
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Bien souvent, il est fort nécessaire de négocier et par ce biais de développer des processus concrets pour la paix. Mais les processus efficaces dune paix durable sont avant tout des transformations artisanales réalisées par les peuples, où chaque être humain peut être un ferment efficace par son mode de vie quotidien. Les grandes transformations ne sont pas produites dans des bureaux ou dans des cabinets. Par conséquent, « chacun joue un rôle fondamental, dans un unique projet innovant, pour écrire une nouvelle page de lhistoire, une page remplie despérance, remplie de paix, remplie de réconciliation ».[216] Il y a une architecture de la paix où interviennent les diverses institutions de la société, chacune selon sa compétence, mais il y a aussi un artisanat de la paix qui nous concerne tous. À partir de divers processus de paix réalisés en plusieurs endroits dans le monde, « nous avons appris que ces chemins de pacification, de primauté de la raison sur la vengeance, de délicate harmonie entre la politique et le droit, ne peuvent pas ignorer les cheminements des gens. On ny arrive pas avec lélaboration de cadres juridiques et darrangements institutionnels entre groupes politiques ou économiques de bonne volonté. [
] De plus, il est toujours enrichissant dintroduire dans nos processus de paix lexpérience de secteurs qui, en de nombreuses occasions, ont été rendus invisibles, pour que ce soient précisément les communautés qui peignent elles-mêmes les processus de mémoire collective ».[217]
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Il ny a pas de point final à la construction de la paix sociale dun pays. Celle-ci est plutôt « une tâche sans répit qui exige lengagement de tous. Travail qui nous demande de ne pas relâcher leffort de construire lunité de la nation et, malgré les obstacles, les différences et les diverses approches sur la manière de parvenir à la cohabitation pacifique, de persévérer dans la lutte afin de favoriser la culture de la rencontre qui exige de mettre au centre de toute action, sociale et économique, la personne humaine, sa très haute dignité et le respect du bien commun. Que cet effort nous fasse fuir toute tentation de vengeance et de recherche dintérêts uniquement particuliers et à court terme ».[218] Les manifestations publiques violentes, dun côté ou de lautre, naident pas à trouver dissues. Surtout parce que, comme lont bien souligné les évêques de Colombie, lorsque sont encouragées « des mobilisations citoyennes, leurs origines et leurs objectifs napparaissent pas toujours clairement ; il y a des genres de manipulations politiques et on a observé des appropriations en faveur dintérêts particuliers ».[219]
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Surtout avec les derniersLa recherche de lamitié sociale nimplique pas seulement le rapprochement entre groupes sociaux éloignés après une période conflictuelle dans lhistoire, mais aussi la volonté de se retrouver avec les secteurs les plus appauvris et vulnérables. « La paix nest pas seulement labsence de guerre, mais lengagement inlassable surtout de la part de nous autres qui exerçons une charge liée à une plus grande responsabilité de reconnaître, de garantir et de reconstruire concrètement la dignité, bien des fois oubliée ou ignorée, de nos frères, pour quils puissent se sentir les principaux protagonistes du destin de leur Nation ».[220]
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Souvent, les derniers de la société ont été offensés par des généralisations injustes. Si parfois les plus pauvres et les exclus réagissent par des actes qui paraissent antisociaux, il est important de comprendre que ces réactions sont très souvent liées à une histoire de mépris et de manque dinclusion sociale. Comme lont enseigné les évêques latino-américains, « ce nest que la proximité avec les pauvres qui fait de nous leurs amis, qui nous permet dapprécier profondément leurs valeurs actuelles, leurs légitimes désirs et leur manière propre de vivre la foi. Loption pour les pauvres doit nous conduire à lamitié avec les pauvres ».[221]
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Ceux qui cherchent à pacifier la société ne doivent pas oublier que liniquité et le manque de développement humain intégral ne permettent pas de promouvoir la paix. En effet, « sans égalité de chances, les différentes formes dagression et de guerre trouveront un terrain fertile qui tôt ou tard provoquera lexplosion. Quand la société locale, nationale ou mondiale abandonne dans la périphérie une partie delle-même, il ny a ni programmes politiques, ni forces de lordre ou dintelligence qui puissent assurer sans fin la tranquillité ».[222] Sil savère nécessaire de recommencer, ce sera toujours à partir des derniers.
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La valeur et le sens du pardonCertains préfèrent ne pas parler de réconciliation parce quils pensent que le conflit, la violence et les ruptures font partie du fonctionnement normal dune société. De fait, au sein de tout groupe humain, il y a des luttes de pouvoir plus ou moins subtiles entre différents secteurs. Dautres soutiennent quaccorder de la place au pardon, cest renoncer à sa propre place pour laisser dautres dominer la situation. Cest pourquoi ils considèrent quil vaut mieux préserver un jeu de pouvoir qui permette de préserver un équilibre des forces entre les différents groupes. Dautres croient que la réconciliation est laffaire des faibles qui ne sont pas capables dun dialogue de fond et qui choisissent donc de fuir les difficultés en dissimulant les injustices. Incapables daffronter les problèmes, ils font loption dune paix apparente.
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Le conflit inévitableLe pardon et la réconciliation sont des thèmes fortement mis en exergue dans le christianisme et, de diverses manières, dans dautres religions. Le risque, cest de ne pas comprendre convenablement les convictions des croyants et de les présenter de telle sorte quelles finissent par alimenter le fatalisme, linertie ou linjustice, ou alors lintolérance et la violence.
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Jésus-Christ na jamais invité à fomenter la violence ou lintolérance. Il condamnait ouvertement lusage de la force pour simposer aux autres : « Vous savez que les chefs des nations dominent sur elles en maîtres et que les grands leur font sentir leur pouvoir. Il nen doit pas être ainsi parmi vous » (Mt 20, 25-26). Par ailleurs, lÉvangile demande de pardonner « soixante-dix fois sept fois » (Mt 18, 22), et donne comme exemple le serviteur impitoyable qui, pardonné, na pas été capable, à son tour, de pardonner aux autres (cf. Mt 18, 23-35).
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Dans dautres textes du Nouveau Testament, nous pouvons remarquer que, de fait, les communautés primitives, plongées dans un monde païen saturé de corruption et de dérives, avaient le sens de la patience, de la tolérance, de la compréhension. Certains textes sont très clairs à cet égard : on invite à reprendre les adversaires « avec douceur » (2 Tm 2, 25). On exhorte à « noutrager personne, éviter les disputes, se montrer bienveillant, témoigner à tous les hommes une parfaite douceur. Car, nous aussi, nous étions naguère des insensés » (Tt 3, 2-3). Le livre des Actes des Apôtres affirme que les disciples, persécutés par certaines autorités, « avaient la faveur de tout le peuple » (2, 47 ; cf. 4, 21.23 ; 5, 13).
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Cependant, quand nous réfléchissons sur le pardon, la paix et la concorde sociale, nous nous trouvons face à une affirmation de Jésus-Christ qui nous surprend : « Nallez pas croire que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. Car je suis venu opposer lhomme à son père, la fille à sa mère et la bru à sa belle-mère : on aura pour ennemis les gens de sa famille » (Mt 10, 34-36). Il est important de situer cette affirmation dans le contexte du chapitre où elle se trouve. De toute évidence, le thème qui y est abordé est celui de la fidélité à un choix, sans honte, même si cela comporte des contrariétés, et même si des proches sopposent au choix en question. Par conséquent, cette affirmation ninvite pas à rechercher les conflits, mais simplement à supporter le conflit inéluctable, pour que le respect humain ne conduise pas à sécarter de la fidélité en vue dune supposée paix familiale ou sociale. Saint Jean-Paul II a déclaré que lÉglise « nentend pas condamner tout conflit social sous quelque forme que ce soit : lÉglise sait bien que les conflits d'intérêts entre divers groupes sociaux surgissent inévitablement dans l'histoire et que le chrétien doit souvent prendre position à leur sujet avec décision et cohérence ».[223]
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Les luttes légitimes et le pardonIl ne sagit pas de proposer un pardon en renonçant à ses droits devant un puissant corrompu, devant un criminel ou devant quelquun qui dégrade notre dignité. Nous sommes appelés à aimer tout le monde, sans exception. Mais aimer un oppresseur, ce nest pas accepter quil continue dasservir, ce nest pas non plus lui faire penser que ce quil fait est admissible. Au contraire, laimer comme il faut, cest uvrer de différentes manières pour quil cesse dopprimer, cest lui retirer ce pouvoir quil ne sait pas utiliser et qui le défigure comme être humain. Pardonner ne veut pas dire lui permettre de continuer à piétiner sa propre dignité et celle de lautre, ou laisser un criminel continuer à faire du mal. Celui qui subit une injustice doit défendre avec force ses droits et ceux de sa famille précisément parce quil doit préserver la dignité qui lui a été donnée, une dignité que Dieu aime. Si un malfaiteur ma fait du tort, à moi ou à un être cher, personne ne minterdit dexiger justice et de veiller à ce que cette personne ou toute autre ne me nuise de nouveau ou ne fasse le même tort à dautres. Il faut le faire, et le pardon non seulement nannule pas cette nécessité, mais lexige.
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Lessentiel, cest de ne pas le faire pour nourrir une colère qui nuit à notre âme et à lâme de notre peuple, ou par un besoin pathologique de détruire lautre qui déclenche une course à la vengeance. Personne nobtient la paix intérieure ni ne se réconcilie avec la vie de cette manière. La vérité, cest qu« aucune famille, aucun groupe de voisins ni aucune ethnie, encore moins aucun pays na davenir si le moteur qui unit, agrège et couvre les différences, [est] la vengeance et la haine. Nous ne pouvons pas nous mettre daccord et nous unir pour nous venger, pour perpétrer contre celui qui a été violent ce quil nous a fait, pour planifier des occasions de représailles sous des formes apparemment légales ».[224] On ne gagne rien ainsi, et, à la longue, on perd tout.
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Certes, « dépasser lhéritage amer dinjustices, dhostilités et de défiance laissé par le conflit nest pas une tâche facile. Cela ne peut être réalisé quen faisant vaincre le mal par le bien (100f. Rm 12, 21) et en cultivant les vertus qui promeuvent la réconciliation, la solidarité et la paix ».[225] De cette manière, à « celui qui la fait grandir en lui, la bonté donne une conscience tranquille, une joie profonde même au milieu des difficultés et des incompréhensions. Jusque dans les offenses subies, la bonté nest pas faiblesse, mais vraie force capable de renoncer à la vengeance ».[226] Il faut également que je reconnaisse à mon niveau que le jugement sévère que je porte dans mon cur contre mon frère et ma sur, cette cicatrice jamais refermée, cette offense jamais pardonnée, cette rancur qui ne peut que me nuire, que tout cela est un nouvel épisode de la guerre en moi, un feu dans mon cur quil faut éteindre avant quil ne sembrase.[227]
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La vraie victoireQuand les conflits ne sont pas résolus mais plutôt dissimulés ou enterrés dans le passé, il y a des silences qui peuvent être synonymes de complicité avec des erreurs et des péchés graves. Mais la vraie réconciliation, loin de fuir le conflit, se réalise plutôt dans le conflit, en le dépassant par le dialogue et la négociation transparente, sincère et patiente. La lutte entre divers secteurs, « si elle renonce aux actes dhostilité et à la haine mutuelle, se change peu à peu en une légitime discussion dintérêts, fondée sur la recherche de la justice ».[228]
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À plusieurs reprises, jai proposé « un principe indispensable pour construire lamitié sociale : lunité est supérieure au conflit. [
] Il ne sagit pas de viser au syncrétisme ni à labsorption de lun dans lautre, mais de la résolution à un plan supérieur qui conserve, en soi, les précieuses potentialités des polarités en opposition ».[229] Nous le savons parfaitement, « chaque fois que, en tant que personnes et communautés, nous apprenons à viser plus haut que nous-mêmes et que nos intérêts particuliers, la compréhension et lengagement réciproques se transforment [
] en un domaine où les conflits, les tensions et aussi ceux qui auraient pu se considérer comme des adversaires par le passé, peuvent atteindre une unité multiforme qui engendre une nouvelle vie ».[230]
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La mémoireOn ne doit pas exiger une sorte de pardon social de la part de celui qui a beaucoup souffert injustement et cruellement. La réconciliation est un fait personnel, et personne ne peut limposer à lensemble dune société, même si elle doit être promue. Dans le domaine strictement personnel, par une décision libre et généreuse, quelquun peut renoncer à exiger un châtiment (cf. Mt 5, 44-46), même si la société et sa justice le demandent légitimement. Mais il nest pas possible de décréter une réconciliation générale en prétendant refermer par décret les blessures ou couvrir les injustices dun manteau doubli. Qui peut sarroger le droit de pardonner au nom des autres ? Il est émouvant de voir la capacité de pardon de certaines personnes qui ont su aller au-delà du mal subi, mais il est aussi humain de comprendre ceux qui ne peuvent pas le faire. Dans tous les cas, ce qui ne doit jamais être proposé, cest loubli.
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La Shoa ne doit pas être oubliée. Elle est le « symbole du point où peut arriver la méchanceté de lhomme quand, fomentée par de fausses idéologies, il oublie la dignité fondamentale de chaque personne qui mérite un respect absolu quel que soit le peuple auquel elle appartient et la religion quelle professe ».[231] Pour la rappeler, je ne peux pas ne pas répéter cette prière : « Souviens-toi de nous dans ta miséricorde. Donne-nous la grâce davoir honte de ce que, comme hommes, nous avons été capables de faire, davoir honte de cette idolâtrie extrême, davoir déprécié et détruit notre chair, celle que tu as modelée à partir de la boue, celle que tu as vivifiée par ton haleine de vie. Jamais plus, Seigneur, jamais plus ! ».[232]
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